E-TAMAZIGHT

Tamazight: Une ou plusieurs langues ?

Tamazight: Une ou plusieurs langues ?

Paradoxalement, c'est au moment où Tamazight commence enfin à retrouver sa place en Algérie et au Maroc, que certains personnages, autrefois champions d'une Tamazight unifiée de Siwa aux Canaries, font soudain volte face et claironnent désormais que cette langue n'existe pas, jurant même, par tous les diables, qu'il est impossible aux locuteurs des différentes variantes de notre langue de se comprendre, justifiant ainsi leur nouvelle orientation en faveur d'un repli, aussi chauvin que stérile, sur la seule région kabyle. Ces messieurs ne semblent mesurer ni l'ampleur de leur contradiction, ni l'effet dévastateur que leurs propos pourraient engendrer chez les simples citoyens que nous sommes, sans parler de l'aide inattendue qu'ils apportent à tous les détracteurs de l'officialisation de notre langue.

S'il est vrai que le manque de communication entre nos différentes régions et l'absence de prise en charge étatique des travaux d'aménagement et de standardisation qui font les grandes langues, ont fait éclater notre langue en plusieurs dialectes, et même ces derniers en sous-variantes locales, tous les linguistes qui s'y sont intéressés ont pourtant relevé une remarquable unité de sa syntaxe.

N'étant pas un spécialiste de la science du langage, je ne vais donc pas avancer d'arguments théoriques à cette unité, néanmoins en tant qu'amazighophone je tenterai d'apporter un simple témoignage tiré de ma propre expérience.

Natif d'une localité du centre de la région kabyle, At Weghlis dans la wilaya de Bgayet (Béjaïa), j'ai été très jeune confronté à différentes variantes du Kabyle se distinguant par des prononciations assez éloignées et même par un lexique varié. Ainsi, le mot Ayyur (lune), était prononcé juste à quelques kilomètres de mon village « Aggur », tout comme « Axxam n wergaz » se disait « Axxam b'wergaz » ou encore « Axxam g wergaz », de même que « Ad'ar=pied» était prononcé dans les villages de la montagne juste en face de chez moi « At'ar ». Nous nous amusions souvent de cette variété mais jamais au grand jamais il n'est venu à l'esprit de quiconque de penser que nos voisins parlaient une autre langue, tant l'intercompréhension était aisée, même si de temps à autre on demandait à nos parents ce que voulait dire un terme qu'on n'avait jamais entendu dans notre village. À Alger, la rencontre de personnes venant de différentes localités, de ce qu'on appelle communément grande et petite Kabylie, m'a permis d'expérimenter ma compréhension de tous les parlers de l'est à l'ouest de cette région même si j'ai eu quelquefois des difficultés à reconnaître certains mots que je connaissais depuis ma prime enfance car prononcés d'une autre façon.. Il suffisait de s'habituer aux différents accents et de comprendre les mécanismes régissant ces variations, et le tour était joué. Un peu plus tard, j'ai eu la chance de rencontrer des jeunes originaires de Chenoua, des Aurès et du Mzab, j'ai pu comprendre ainsi les convergences et les différences de prononciation entre Taqbaylit d'une part et Tachenwit, Tachawit et Tumzabt d'autre part. Ma première constatation était que les différences existant entre des parties éloignées de la Kabylie existaient.également entre les autres régions et la Kabylie.

Ainsi le « J » de « Ijider = aigle », que j'ai appris de mes parents, se retrouvait tel quel dans les autres parlers alors qu'en Kabylie même une grand nombre le prononce « Ig'ider » (g spirant plus ou moins proche du y), Ig'enni correspondait à Ajenna, le mot Tit'awin n'était que le pluriel régulier de Tit' ou encore le mot « ijet = une » de ces parlers, se retrouvait dans certaines localités de Kabylie, comme les At Khelfoun de la wilaya de Boumerdes, tandis que le reste de la région utilise « yiwet » pour ce même terme.

Partant de cette modeste expérience, qui est celle de beaucoup de gens de ma génération,je peux dire, sans grand risque de me tromper, que la multiplication des canaux de communication, telles que la radio, la télévision et l'internet, et la définition d'une écriture standard qui nous permettrai d'écrire partout de la même façon. les mots que l'on prononce différemment, aboutira certainement à une inter-compréhension parfaite. Ces échanges feront que chaque locuteur s'habituera à la prononciation de l'autre et les prétendues différences lexicales ne seront perçues que comme une richesse loin de constituer un handicap à la compréhension.

Cessons donc de répéter les arguments racistes des colonisateurs, sur notre incapacité congénitale à former un peuple uni, et oeuvrons plutôt à multiplier à l'infini les contacts entre nos régions et l'on se rendra compte assez vite que notre langue n'est ni plus ni moins diversifiée que toutes les autres langues de l'humanité. Et l'on pourrait alors, chercher même à cultiver les différences, pour la beauté des sonorités de nos accents, comme dans beaucoup d'autres idiomes bien connus.

Boualem Aourane
Montréal, le 11 avril 2005.
SOURCE:MondeBerbere.com




01/02/2008
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